La Société des Études Océaniennes est la plus ancienne société savante de Polynésie française . (Ce pays était désigné à l’époque sous le nom de « Établissements Français de l’Océanie« .) Elle a été créée le 1er janvier 1917.
Son bulletin sera vite désigné par l’appellation familière de « BSEO ». Le numéro 1 sort en mars 1917. En mars 2009 sort le n°314. C’est en 1967, sur la couverture du n°158-159, qu’apparaît la légère modification d’appellation : « Société des Études Océaniennes ». C’était l’année du cinquantenaire de la Société, et à cette occasion, son président Henri Jacquier écrivait l’historique suivant :

« La Société d’Études Océaniennes a été créée le 1er Janvier 1917 par un arrêté du Gouverneur JULIEN dans le but, précisait l’article 1er : « d’étudier sur place, toutes les questions se rattachant à l’Anthropologie, l’Ethnologie, la Philologie, l’Archéologie, l’histoire et les institutions, moeurs coutumes et traditions des Maoris de la Polynésie Orientale ». L’article 2 spécifiait « La Société d’Études Océaniennes affirmera son existence et fera connaître ses travaux par le moyen d’un organe périodique appelé « Bulletin de la Société des Études Océaniennes ». Ce bulletin sera édité aux frais du service local par les soins de l’Imprimerie du gouvernement.

« La première assemblée générale eut lieu le 25 Mars 1917. Le procès‑verbal mentionnait quatre vingt‑et‑un membres fondateurs parmi lesquels après un demi‑siècle on ne compte plus hélas que trois survivants : la Princesse Takau POMARE, M. Gaston HAYEM et Mlle PERRIER.

« Le Bulletin n° 2 du 2 Septembre 1917 publiait un arrêté en date du 11 Juin organisant la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique ou artistique intéressant la Société d’Études Océaniennes ; puis un second en date du 24 Octobre créant le Musée « destiné à abriter les objets transportables dans un bâtiment fourni par le Territoire. » Ainsi, dès ses débuts il était adjoint à la Société d’Études Océaniennes un Musée d’Ethnologie dont elle avait la charge et la direction. Le gouvernement s’était rendu compte en effet de l’urgence qu’il y avait de rassembler et de conserver des vestiges dont la disparition s’accélérait. Cependant, faute de crédits, certaines dispositions de l’arrêté du 24 Octobre ne purent être effectivement appliquées. Le noyau des collections fut constitué par celle que le Frère Alain GUITTON avait patiemment assemblée et qu’il remit généreusement à la Société d’Études Océaniennes. (Voir plus bas)

« Le local attribué par le Territoire était une salle située au premier étage de la caserne de l’Avenue Bruat alors inoccupée par l’armée. Ce local servait également de salle de réunion à la Chambre de Commerce et à la Chambre d’Agriculture. On comprend que dans un pareil va‑et‑vient, plusieurs pièces aient disparu, d’autant plus qu’à ce moment une terrible épidémie de grippe espagnole ravagea le pays faisant tant de victimes que toute vie sociale et publique fut désorganisée. Peu de temps après, le Président de la Société M. SIMON décéda et fut remplacé par Me Dr. SASPORTAS qui occupa ce poste jusqu’en 1923, date à laquelle lui succéda M. Edouard AHNNE qui devait y demeurer deux ans et être remplacé par l’abbé ROUGIER. Le Musée avait entre temps été relogé dans un immeuble décent et bien situé : l’actuel palais de Justice. Après la mort de l’abbé ROUGIER en 1932, ce fut à nouveau M. Edouard AHNE qui fut élu Président et il le demeurera jusqu’à sa mort survenue en 1945.

« Cette installation, avenue Bruat, devait malheureusement n’être que provisoire, car en 1935, le Service de la Justice qui occupait le premier étage de la caserne en fut délogé par l’armée, contrairement à l’adage « cedant arma togae » et réduit à expulser à son tour le Musée qui dût être évacué sur Mamao à l’ancienne résidence des Secrétaires généraux. Cette demeure construite au siècle dernier dans un grand parc par un armateur L. JOHNSTON, était spacieuse et ne manquait pas de charme. Cependant, abandonnée depuis plusieurs années son état laissait beaucoup à désirer et aucune réparation n’y fut entreprise par la suite. A la mort de M. Edouard AHNNE survenue en 1945, la présidence fut assurée durant quelque temps par M. de MONTLEZUN, Procureur de la République auquel succéda à la fin de son séjour le Pasteur REY LESCURE, après le départ de celui‑ci, par M. JACQUIER, l’actuel Président.

« Le Musée devait demeurer vingt ans à Mamao lorsqu’en 1956 il lui fallut encore être déménagé, cet emplacement devant servir à édifier l’hôpital dont la construction ne devait être d’ailleurs entreprise que dix ans plus tard. À ce moment il n’existait aucun immeuble, aucun bâtiment administratif disponible pour abriter le Musée. On se heurtait d’autre part à un manque de compréhension de la part de l’Assemblée territoriale. Ce fut le gouverneur TOBY qui sauva la situation en faisant inscrire au budget la location d’un immeuble rue Bréat, celui où se trouve le Musée actuellement. Jamais depuis sa fondation, la Société n’avait été en si grand danger de disparaître. Sans doute dans ce local destiné à l’habitation et au commerce, il n’était guère aisé d’installer un Musée, même modeste, mais cela était sans doute préférable à la solution qui aurait consisté à mettre en caisses livres et collections et à les vouer ainsi à peu près infailliblement aux destructions progressives et finalement à la disparition pure et simple. On nous avait entretenu durant vingt‑cinq‑ans l’espoir de voir le Musée installé dans l’ancien palais POMARE lorsque celui‑ci serait libéré des services administratifs qu’il abritait. Mais ce jour arrivé, ce vieux palais, dernier vestige du Papeete ancien, fut livré aux démolisseurs et à sa place, s’édifie en ce moment un immeuble devant servir à abriter l’Assemblée Territoriale. On peut espérer malgré tout, voir un jour un Musée moderne s’édifier dans le cadre des réalisations du Vème plan.

« Voilà esquissée à grands traits l’histoire de  la Société des Études Océaniennes, petit groupement intellectuel – le premier en date et le seul ayant une réelle importance en Polynésie française. Cinquante ans constituent un bel âge pour une société, surtout à Tahiti où l’on prétend que rien ne dure. Au cours d’un demi‑siècle, en dépit des difficultés et des vicissitudes qui peuvent se rencontrer sur une aussi longue période, la Société des Études Océaniennes a publié presque régulièrement son Bulletin dont le prochain portera le numéro 158.
Elle a réussi là où d’autres sociétés poursuivant les mêmes buts dans des territoires français du Pacifique n’ont manifesté qu’une brève existence ou ne se sont signalées que par quelques publications sporadiques sans lendemain. Nous pensons que les raisons de cette vitalité tiennent à la persévérance de ses dirigeants successifs, à la confiance que leur ont marqué les membres et à la coopération affective des pouvoirs publics qui, il faut le souligner, ont consciencieusement rempli leurs obligations contractées lors de la fondation en 1917. Il serait souhaitable cependant de voir parmi la population locale davantage de membres actifs, surtout parmi les jeunes dont beaucoup n’ont de l’histoire et de l’ethnologie de leur pays que des connaissances très rudimentaires. » [fin de l’article d’Henri Jacquier].

MoortgatPaul MOORGAT, Président de la SEO
(1976 – 1989)

En 1986, dans le n°234, le président Paul Moorgat fait à nouveau un bilan de la situation :
« Le propriétaire du bâtiment qui abritait notre Société ayant repris ses locaux, nous avons été obligés de quitter, non sans regrets, cette rue Bréa‑Lagarde, où nous étions depuis près de trente ans.
Nous avons provisoirement trouvé refuge dans les locaux de l’ORSTOM à Arue, où notre bibliothèque sera ouverte dans quelque temps ; celle de l’ORSTOM reste bien entendu à notre disposition.
La Société et sa bibliothèque trouveront un havre définitif dans le bâtiment des Archives, qui doit être construit à Tipaerui.
Une convention sauvegarde notre liberté qui reste entière et ces tribulations si elles perturbent la vie de la Société ne devraient pas l’altérer.
Gardons confiance et n’oublions pas que la façon la plus efficace de manifester son attachement à la Société reste, avec le règlement de la cotisation, le recrutement de nouveaux adhérents. »

En 1990, la Société s’installe enfin dans des locaux appropriés (n°249-250) :
« Il faut signaler que le siège de la S.E.O., ‑ qui avait quitté la maison Bailly, Rue Lagarde (ex‑Rue Bréa) à Pape’ete, pour être accueilli, à titre gracieux, en février 1986 dans l’immeuble de l’O.R.S.T.O.M à Arue, ‑ a été transféré depuis mars 1990 dans le bâtiment neuf du Service des Archives sur les hauts de Tipaerui à Papeete. C’est là prochainement, dans l’auditorium‑salle de conférence, que se tiendra l’Assemblée Générale pour le renouvellement du Bureau de la S.E.O. »

Une dernière fois (n°265-266), le président rappelle les tribulations de la Société :
« En gardant ainsi le regard fixé sur le passé, nous pouvons constater que le siège de la Société s’est beaucoup déplacé : si la première réunion a eu lieu le 23 mars 1917 au Palais‑Théâtre de Papeete, elle a disposé à partir du mois d’octobre de deux pièces au premier étage de la caserne d’Infanterie coloniale « avec vérandah sur la façade et couverture en tuiles », à côté du Service de la justice. Ce provisoire cesse dès 1935 et, comme l’écrit joliment le Bulletin n°14, « Thémis, chassée de la caserne par les militaires, expulse à son tour le Musée qui fut logé à Mamao dans l’ancienne résidence des Secrétaires généraux ». En mars 1956 la Société effectue un « déménagement précipité » de l’hôtel de Mamao, qui doit être démoli pour laisser place à l’hôpital, vers le centre ville, rue Bréa‑Lagarde, dans l’immeuble Bailly. En mars 1986 la Société effectue un deuxième déménagement très précipité et trouve un havre à l’Orstom‑Arue.
Depuis le lundi 26 mars 1990 le Service des Archives accueille la S.E.O. »

Tiré à 700 exemplaires, le bulletin est envoyé sans frais à chacun de ses membres à jour de sa cotisation annuelle, quelle que soit sa résidence dans le monde entier.

Le Bulletin est diffusé par ailleurs à environ 60 institutions académiques, historiques, scientifiques du monde francophone et du monde anglophone avec lesquelles elle noue des liens consistants et réguliers. On peut se procurer le Bulletin au siège de la SEO,ou en librairie à Tahiti.

Dès le début de sa création, la Société s’est dotée d’une bibliothèque qui compte aujourd’hui plus de 10000 ouvrages en incluant journaux et périodiques.

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Lors de la création du Musée de Tahiti et des Îles en 1974, les collections ethnographiques, archéologiques et artistiques dont la gestion avait été confiée à la Société ont été déposées dans cet établissement situé à Punaauia (Tahiti) et constituent une part importante des objets exposés.

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Le musée de Tahiti et des îles à Punaauia

Soucieuse de la préservation et d’une meilleure connaissance des langues polynésiennes, la SEO a publié le dictionnaire de la langue tahitienne (le Tepano), celui de la langue marquisienne (le Dordillon, 1904), celui de quelques dialectes des Tuamotu (le Stimson, 1964) et celui de la langue magarévienne (le Tregear).

LE MUSÉE DU FRÈRE ALAIN

Le Frère Alain (Joseph Guitton, 1846-1917), arrivé à Tahiti en 1879, a consacré sa vie à l’éducation. Sympathique, populaire, apprécié de tous, il avait réservé une pièce de son école pour un musée d’ethnographie et d’histoire naturelle. Il demanda à rentrer en Espagne en 1916, pour sa retraite. Avant son départ en juillet 1917, les Frères de la Mission catholique offrirent  ce musée à la colonie. Le Frère Alain fut un des membres fondateurs de la Société d’études océaniennes.

Dans son livre Iles de Paradis (éd. Berger-Levrault, 1925), l’écrivain Robert Chauvelot, de passage en Océanie française en 1913, décrit sa rencontre avec le Frère Alain et la visite qu’il fait de son « musée » (pages 306-309).

« Nous n’avons pas pêché de requin, mais nous avons pêché « son pilote », un superbe rémora. […]
Donc, nous avions capturé, sans le vouloir, ce curieux poisson parasite. Il s’était laissé prendre innocemment à l’appât d’une de nos lignes. Et c’était maintenant au tour du requin d’être quinaud. Il errait, à droite et à gauche, au dessous de nous, désorienté, inquiet, les yeux vitreux, un peu comique, stupéfait d’être délesté aussi inopinément de son habituel compagnon. Bref, l’aveugle, dépouillé de son paralytique.

– Si vous n’en faites rien, de ce rémora, donnez le moi, Monsieur, pour ma petite collection … enfin pour mes élèves …

Je me retourne sur la berge où nous venons d’accoster. C’est un Frère de la Doctrine Chrétienne qui me parle, un de ces « frères ignorantins » comme disent les esprits forts, un de ces humbles qui m’en imposent, à moi, souvent plus que certains prélats revêtus de la pourpre cardinalice.
– Frère Alain, de l’École Catholique de Papeete, ajoute t il en se présentant avec simplicité. je m’excuse de mon indiscrétion … Ah! ce rémora, voyez vous, Monsieur : il ferait si bien, dans mon petit musée …
– Très volontiers, mon Frère. Prenez … et ne mangez point, car je ne suis pas sûr que le rémora soit comestible.
– Mais si, mais si, répond Frère Alain, en me serrant la main, le visage rouge de bonheur. Sa chair est même, dit on, fort savoureuse. Il fera, cependant, bien meilleure figure dans un bocal d’alcool que dans mon estomac. N’est ce pas, mes enfants  ?
Une douzaine de gamins ambrés qui l’escorte, bat des mains, près de danser la oupa oupa. Ils n’en ont jamais vu, de « pilote », ces mioches. Moi, non plus, d’ailleurs, avant ma prise inattendue. C’est à qui essaiera de détacher – plus exactement, d’arracher – le rémora encore bien vivant, qui, de toute la succion de ses ventouses, se plaque désespérément sur une des banquettes de la barque échouée. Un vrai pugiliste, ce rémora ! Le bon Frère exulte. Il détache avec tendresse l’hameçon de la gueule du poisson qu’il enveloppe prestement, dans une gazette locale. Puis, gentiment, sans façon, il m’entraîne par le bras vers son école, avec ses douze élèves et mes deux compagnons.
Un véritable musée d’océanographie et d’ethnographie, sa petite classe ! D’abord, une infinité de coraux, d’algues sèches en herbier, de coquillages. Voici des poissons et des crustacés en bocaux. Pauvre rémora, tu vas passer à l’alcool et … à la postérité ! Voici des porcelaines marines en forme de lyre, d’autres hérissées de pointes, d’autres encore qui affectent des dessins géographiques, d’autres, enfin, conques marines, qui rendent un son grave, lorsqu’on souffle dedans. Oh ! l’admirable coquille, couleur chair d’abricot ! C’est une « aurore » rarissime, paraît il, et qu’un collectionneur paierait volontiers de 1.000 à 1.500
francs. Ailleurs, une série de pintadines étalent leurs perles baroques, encore adhérentes. Dans une de ces écailles d’huître, me dit le Frère Alain, un pêcheur de Takoumé, aux Tuamotou, a trouvé, il y a quelque temps, une perle qui lui a été aussitôt achetée 14.000 francs, sur place. Le même pêcheur a fait cadeau, à l’École Catholique, d’une superbe couleuvre de mer, dite tunaore (traduction littérale du tahitien : « qui n’est pas une anguille »). Quant à cet horrifiant poisson rond, soufflé, à dard dorsal venimeux, c’est le terrible crapaud de mer, appelé nohou.
– Son nom scientifique est
synancée, me confesse le Frère. Sa piqûre, quand elle n’engendre pas la mort par le tétanos, est toujours horriblement douloureuse. Le nohou, comme ils disent ici, a la couleur du sable avec lequel il se confond facilement. Lorsqu’on l’effleure seulement du pied, il redresse instantanément son dard, caché sous sa nageoire dorsale épineuse. C’est pour cela que j’oblige toujours « mes enfants » de l’école à se chausser d’espadrilles, quand ils se baignent ou pêchent sur la plage. L’enflure, causée par le dard de cette sale bête, est énorme, toujours accompagnée de fièvre et de souffrances atroces. Le seul remède contre la piqûre consiste à appliquer aussitôt, sur la plaie, du pétrole ou de l’ammoniaque pur. J’ai trouvé ça, un jour… Dame ! il faut savoir se débrouiller, nous autres … Puisque vous aimez l’ethnographie, venez donc voir encore cela, Monsieur. Mais c’est un peu fouillis. Vous excuserez …
Sous vitrines, Frère Alain me désigne à présent : une tapa des Iles   sous  le Vent, sorte de toile végétale, tapée, mouillée, feutrée, que les indigènes tirent du banian et du maïoré (arbre à pain); des crabes pétrifiés vivants; un sabot de cheval, trouvé dans l’estomac d’un requin; deux morceaux de bourao sec, qui, frottés d’une certaine façon, enflamment en dix minutes l’amadou; des graphismes polynésiens de l’Ile de Pâques (Rapa Nui selon les uns, Vaïhou, selon les autres); de la « monnaie barbe » des Marquises, aux temps où l’on cultivait (sic), tissait et finalement coupait les rares et précieux poils du menton des vieillards cannibales; une collection de tatouages fessiers photographiés, relatant la naissance, la noblesse et les hauts faits des plus célèbres guerriers marquisiens; des armes et des fétiches des Gambier; des peignes des îles australes. Frère Alain sait tout, explique tout, commente tout. […] »

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