LA SEO ET LES TIKI DE RAIVAVAE AU MUSÉE GAUGUIN

Le samedi 13 juin 2009 à Papearii

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Quand le passé interpelle le présent :

Les ti’i de Raivavae

À la demande légitime des habitants de Raivavae qui, depuis une vingtaine d’années souhaitent rapatrier sur leur sol leurs statues monumentales, en son temps, le ministre Tauhiti Nena prit les mesures qui s’imposaient. Il fit venir deux experts du Laboratoire de recherche des monuments historiques nationaux pour établir un diagnostic sur la santé de ces vénérables témoins de la société d’avant le Contact et l’évangélisation.

Le Contact fut un génocide involontaire, les maladies introduites ravagèrent les populations. Ainsi Moerenhout (1959 : 147) écrit :
«
Raivavae … il paraît certain que, vers 1822, le nombre des habitants à Raivavae était encore au moins de douze cents, mais à l’époque où j’y touchai, en 1830, il n’y en avait plus que 120 environ. En mars 1834, il n’en restait guère que 90 à 100. »
Sur ce désastre humanitaire, s’est greffée l’évangélisation rejetant dans les ténèbres sataniques chrétiennes les divinités tutélaires et les ancêtres polynésiens. Pour prouver leur sincérité, les convertis devaient : soit remettre leurs objets sacrés aux détenteurs de la parole de Vérité, qui les expédièrent dans des musées d’Europe et des États-Unis, soit les détruire. Des temples et églises furent parfois érigés à l’emplacement ou avec les matériaux de marae, effigies comprises.
Puis, de simples voyageurs ou chercheurs emportèrent des objets sous l’œil d’habitants sans doute traversés de sentiments contradictoires devant l’intérêt porté par d’autres Popa’a, aux objets que leurs parents sous la pression de Popa’a furent sommés d’abattre, détruire et oublier. Renversées elles furent remises sur pied en 1902, par l’équipage de la Papeete. En 1933, la « propriétaire» (mais est-on jamais propriétaire d’une source d’eau vive ou d’un objet sacré ?), céda, contre une indemnité dérisoire, deux de ses statues monumentales dont les noms seraient Moana et Heiata, témoins d’une époque non chrétienne donc honteuse et maléfique. Les habitants désapprobateurs n’auraient pas participé à leur chargement. La propriétaire reçut en rêve, la visite de ses ancêtres mécontents. Elle regretta son geste, mais trop tard. Elles étaient parties sur la Denise, armée par Charles Brown et commandée par le capitaine Tetua Mervin accompagné de Steven Higgins constructeur de bateau.
Les avis divergent sur le commanditaire de cet « enlèvement ». Le fait est, que ces deux statues qui avaient été l’objet de graffitis en leur lieu d’origine, trônèrent un temps, majestueuses, devant le palais de Justice avant de rejoindre le musée de Mamao. En 1966, à la construction de l’hôpital, elles furent transportées au musée Paul Gauguin à Papeari, subissant quelques dommages et réveillant des peurs enfouies, puis scellées dans du béton. Bien que malmenées, elles furent accusées d’être responsables de morts et de maladies.

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Aujourd’hui, ces vénérables statues anthropomorphes sont érodées, mutilées par les intempéries, fissurées, attaquées par les mousses et lichens, fragilisées. Le gouvernement par ses établissements publics vient de financer la construction d’abris. Mais les experts sont formels : « Il est possible de les sauver ; mais les bouger, c’est les détruire ».
Il n’est plus temps de désigner des coupables parmi les différents acteurs qui, depuis la conversion et durant ces soixante-treize années passées se sont intéressés à ces statues avec les meilleures intentions du monde et selon les idées de leurs époques. L’urgence est au sauvetage, non seulement de Heiata et Moana, mais de toute la statuaire polynésienne qu’elle soit monumentale ou de dimension plus modeste.
Livrées sans protection aux intempéries elles se fissurent et s’effritent ; mousses et lichens les rongent et les détruisent lentement et sûrement. Lors de visites touristiques, des habitants grimpent sur certaines pour poser devant une caméra. Des indélicats emportent de plus petites dans un but parfois vénal. Acquises par un collectionneur ou un musée, elles sont l’objet d’attentions. Mises au jour lors de travaux de défrichage ou de construction, elles se retrouvent jetées à la décharge, vendues à des particuliers ou des marchands d’art. Lors de mon enquête sur les soins traditionnels, j’ai recueilli des récits de destruction actuelle volontaire. D’aucuns, armés d’une masse, les pulvérisent en récitant des versets bibliques et, pour parfaire l’exorcisme, jettent les débris à la mer. D’autres les coulent dans du ciment et les balancent au large, brûlent les effigies en bois ou les enterrent.

Avant toute récupération des objets détenus par des musées nationaux et étrangers, la protection de notre patrimoine semble exiger d’intervenir sur trois aspects : la sauvegarde de ceux présents dans chacune des îles, le traitement du discours évangélique des XVIIIè et XIXè siècles, encore source de malentendus et d’actes iconoclastes, la réalisation de copies des objets les plus fragiles.
Vaste et onéreux programme qui nécessitera la mobilisation des pouvoirs publics et celle de mécènes et bénévoles !

Le 13 juin 2009, l’association Taurana regroupant des habitants de Raivavae et des originaires résidant à Tahiti, a réalisé une cérémonie de réappropriation symbolique de ces statues. Dans une ambiance conviviale, discours, prières, chants et danses, remise de colliers et de couronnes de fleurs, furent exécutés pour célébrer la première étape de soins dispensés aux statues : leur mise sous abri. Ce fut aussi l’occasion de goûter aux produits savoureux de la cuisine traditionnelle de Raivavae.
En fait, à Tahiti, il y a trois statues, la plus petite est régulièrement et curieusement omise dans les discours et photos même si chacun sait qu’elle est là. Tout comme chacun sait qu’à Raivavae même, il y a a au moins une homologue de Moana et Heiata, si tels sont leurs noms, attendant d’être relevée, nettoyée de la boue et de la broussaille pour être mise à l’abri et témoigner en tant qu’œuvre ancestrale respectable. En effet, après avoir été sacrées bénéfiques, elles subirent la diabolisation, puis, disqualifiées, elles furent vendues ou abandonnées. Aujourd’hui, elles sont tout simplement précieuses.

Simone Grand

Références :
– Henri Bodin, 1933. Note sur les Statues de Raivavai (Vavitu). BSEO n° 49 (pp. 275-278).
– Emile Vedel, 1934. Les statues mégalithiques de Raivavae. Extrait de l’Illustration du 13 janvier 1934. BSEO n° 281/282/ septembre 1999.
– Martine Rattinassamy, 2003. Les Ti’i de Raivavae. Service de la culture et du Patrimoine.
– Divers courriers.
– Rapport des experts.

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